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Danser pendant 4h sur scène

En mars, j’ai dansé dans une pièce de danse contemporaine qui durait 4 heures. A Great Unsettling par Theo Clinkard.

Trente danseurs évoluaient au milieu d’une scène où le public était assis tout autour. Le public pouvait aller et venir à sa guise. Et nous, les danseurs, dansions pendant 4 heures non-stop.

Alors, comment cela s’est-il passé ? Qu’est-ce que j’en ai retiré ?

C’est le sujet de cette newsletter.

Avant de commencer, je vous propose de regarder un extrait que j’ai édité sur ma chaîne YouTube, d’un petit moment de solo que j’ai fait au milieu des 4 heures. Pour que vous perceviez un peu l’ambiance du spectacle.

La sensibilité du chorégraphe

J’aimerais d’abord vous parler de ce qui était vraiment en jeu : la sensibilité du chorégraphe.

Il est arrivé en disant : “Moi, ce qui m’intéresse, c’est le processus que les danseurs traversent, qui les fait évoluer, et le processus que vivent les spectateurs pendant qu’ils regardent le spectacle. Je me fiche de la forme finale. Je me fiche des mouvements, de la chorégraphie. Ce que je veux, c’est que tout le monde vive une aventure, un processus.”

C’est pour ça qu’il a choisi la durée pour son spectacle.

Parce qu’en 4 heures, le spectateur assis, qui reste et qui regarde, a le temps de se poser des questions, de ressentir des émotions, et finalement d’évoluer. Que cela lui évoque quelque chose, que ça le touche dans sa sensibilité.

Ce n’est pas comme un spectacle de 20 minutes : on produit du mouvement, les gens nous regardent et repartent indifférents à ce qu’on a fait.

Et d’un certain point de vue, je suis assez d’accord avec le chorégraphe.

J’ai vraiment l’impression que le fait que ce spectacle durait 4 heures a permis de toucher plus profondément les gens. D’après les retours que nous avons eus à la fin du spectacle, le travail du chorégraphe, le fait que ce soit dans la durée, a permis aux gens de se poser des questions sur le rapport à la scène, sur le rapport au spectacle.

Et cela a beaucoup touché le public.

Casser les codes pour faire passer un message

La première chose que j’en retiens, c’est : comment peut-on changer le format de la performance sans nécessairement se contraindre aux cadres classiques d’un médium, pour toucher les gens autrement et réussir à faire passer un message, simplement par la structure ?

Je pense que cela s’applique aussi à la création d’entreprises, de vidéos, d’articles. Comment casser les codes pour inciter les gens à se poser des questions ?

Sur la durée, je pense aussi qu’il y a une question de comment faire pour qu’il y ait un vrai échange de sensibilité avec les gens. Et la plupart du temps, cela se fait dans la durée et dans l’inconfort.

C’est parce qu’on va rester 4 heures sur une chaise, avec des périodes d’impatience, de questionnement, de doute, d’énervement, de colère, qu’on va pouvoir évoluer, parce que cela nous touche profondément. Et cela ne nous laisse pas indifférents.

L’expérience de la lenteur

Ensuite, il y avait tout un travail sur la lenteur.

Pendant 2 fois 1 heure durant le spectacle, on bougeait au ralenti, dans un style butoh, où les danseurs étaient perdus dans leurs images, les yeux fermés ou ouverts, dans un univers collectif partagé autour de créatures qui se métamorphosent.

Nous étions donc en train de nous métamorphoser en continu pendant 2 heures.

C’était une expérience très profonde et puissante de “triper”, en quelque sorte, sous le regard du public, tout en restant impliqué durant 1 heure d’affilée, sans avoir le droit de bouger, même si ça gratte, il fallait rester dans le jeu.

Parce qu’on est en train de performer, d’être dans son univers individuel, et de sentir comment, lorsqu’on bouge le corps et qu’on change de posture, cela a un impact sur notre affect, notre émotion. Ensuite, on peut transmettre une émotion, une sensibilité au spectateur.

C’était vraiment une très belle aventure, une très belle relation.

La puissance du contraste

Un autre enseignement que j’en ai tiré, c’est le contraste.

Dans le spectacle, il y avait des moments de lenteur absolue, complètement interrompus par une banalité, une mondanité : on devenait des techniciens et on montait des morceaux de bois sur la scène, puis on redevenait des danseurs et on performait 15 minutes d’une super chorégraphie en mode Beyoncé.

Puis, on revenait dans un mode skatepark où l’on dansait et parlait en même temps. Ensuite, il y avait des petits moments de solo, puis la transformation revenait en mode statue.

Ce contraste absolu qui régnait dans le spectacle, je pense, ajoutait quelque chose d’intéressant pour faire passer un message.

Conclusion

Au global, ce que cette pièce m’a appris, c’est à questionner les attentes que l’on a d’un format, d’une pièce de danse par exemple, pour casser les codes et permettre à l’art d’évoluer.

Parce que c’est toujours comme ça que l’art a évolué, finalement.

Quand on observe toutes les grandes transitions, surtout en danse, cela s’est fait par un refus absolu du public, qui criait parce que cela ne correspondait pas à ses codes, pas à ses attentes. Et ensuite, cela a permis de faire évoluer et d’apporter quelque chose de nouveau.

Je pense, par exemple, au Sacre du Printemps.

Je vous souhaite une très bonne journée.

Eliott.