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La prise de notes est morte : voici le futur de la pensée

L'autre jour sur YouTube, je suis tombé sur une vidéo qui m'a fait réagir. Le créateur expliquait que prendre des notes ne sert à rien - qu'il vaut mieux se concentrer sur quelques concepts clés et les appliquer concrètement dans sa vie, plutôt que de faire de la "masturbation intellectuelle" en accumulant des notes qu'on ne relira jamais.

Cette réflexion résonne probablement avec beaucoup d'entre nous. On a tous déjà eu cette sensation en prenant des notes : l'impression qu'on ne les relira jamais, qu'elles ne nous servent à rien. Après tout, on finit généralement par oublier à la fois ce qu'on a lu et le fait même d'avoir pris des notes dessus.

Cette vision des notes comme étant déconnectées de nos enjeux quotidiens et de notre développement personnel est très répandue. Mais elle me rend profondément triste, car la prise de notes est peut-être l'activité qui m'a fait le plus évoluer ces 5 dernières années.

Pourquoi prendre des notes ?

En tant qu'humains, nous évoluons principalement à travers notre façon de voir le monde. Chaque lecture nous permet d'intégrer de nouveaux concepts et modèles mentaux à notre compréhension. Cela nous rend plus tolérants, plus créatifs, plus intelligents. Plus on lit, plus on accumule de concepts et de modèles mentaux, plus on peut faire de liens, et plus on s'enrichit intellectuellement et humainement.

C'est pourquoi ce raisonnement anti-notes, de plus en plus populaire parmi les créateurs de contenu, me semble erroné. Avant de juger si prendre des notes est utile, il faut comprendre leur véritable fonction.

Le cerveau faillible

Le raisonnement classique derrière la prise de notes est simple : notre cerveau est faillible. Les études scientifiques, notamment la courbe d'Ebbinghaus, montrent qu'on oublie environ 90% de ce qu'on consomme au bout de 6 mois.

Faites le test : pourriez-vous résumer un livre lu il y a 6 mois ? Ou même simplement vous souvenir de son titre et de ses 5 concepts principaux avec clarté ?

La solution évidente serait donc de prendre des notes pour ne pas oublier. Mais cette approche a ses limites : souvent, on oublie même qu'on a pris des notes, et leur contenu s'évapore aussi de notre mémoire. On a l'impression d'avoir perdu notre temps.

La puissance d'un second cerveau

Pourtant, une base de notes bien organisée peut devenir un véritable second cerveau. Laissez-moi vous montrer à quoi ça ressemble concrètement.

Tout ce que j'ai lu, vu, entendu ou pensé depuis 5 ans est accessible instantanément. Par exemple, il y a quelques années, je me suis intéressé à la complexité. Bien que mon cerveau biologique ne s'en souvienne plus très bien, je peux retrouver instantanément ces connaissances dans mon système de notes.

En tapant "complexité", j'accède à mes réflexions sur le paradigme de la complexité, reformulées dans mes propres mots. Je retrouve mes notes sur la nécessité de diviser pour mieux comprendre, tout en sachant réunir les parties dans un tout...

Ce système devient un véritable support pour ma pensée. Même si je ne me souviens plus consciemment de ce que j'ai lu il y a cinq ans, mes notes bien structurées - une note par concept, portable, interconnectée - permettent l'émergence de nouvelles idées. Les concepts que j'ai notés peuvent résoudre des problèmes actuels que je n'aurais pas pensé à relier.

Un investissement intellectuel

Cette approche change complètement la perspective sur la prise de notes. Ce n'est plus une activité stérile, mais un système qui amplifie notre réflexion - comme si on avait accès à toutes nos connaissances des cinq dernières années, capable de faire des liens et de générer de nouvelles idées.

On peut faire une analogie intéressante avec l'investissement financier. Ne pas prendre de notes, c'est comme investir dans des passifs - ces choses qui vous font sortir de l'argent de la poche. Comme quelqu'un qui dépense tout son argent en Starbucks et en gadgets, vous consommez de l'information sans l'accumuler. Vous devez constamment réapprendre, sans capitaliser sur vos connaissances précédentes.

C'est comme quelqu'un de 50 ans travaillant dans les RH à qui on demanderait ce qu'il a appris en physique-chimie pendant ses études. Rien - le disque dur a été effacé. Sans système de notes, chaque nouveau projet nécessite de repartir de zéro.

À l'inverse, prendre des notes c'est investir dans des actifs - ces choses qui vous rapportent de l'argent. Comme 1000€ investis qui deviennent 120 000€ en 50 ans grâce aux intérêts composés, les connaissances s'accumulent et se multiplient. Plus on a de concepts, plus on peut faire de connexions, plus on génère de nouvelles idées. C'est un cercle vertueux d'auto-amplification intellectuelle.

Les quatre types de penseurs

Mais il y a quelque chose d'encore plus important que l'accumulation de connaissances : la "sharpness of thinking" - la qualité de la pensée. Pour illustrer cela, je distingue quatre types de penseurs :

1. Les surfacistes

Ce sont ceux qui connaissent beaucoup de choses sur beaucoup de domaines, mais sans profondeur. Ils lisent des résumés plutôt que des livres entiers, se proclament experts sur 18 sujets différents, mais souffrent de l'effet Dunning-Kruger - ils se croient compétents car ils ne réalisent pas l'étendue de leur incompétence.

2. Les spécialistes identifiés

Ce sont les experts traditionnels - très compétents dans un domaine précis, mais tellement identifiés à leur système de pensée qu'ils voient le monde uniquement à travers ce prisme. Un économiste qui analyse tout en termes économiques, par exemple. Ils sont sujets aux biais de confirmation et rejettent souvent les autres perspectives.

3. Les multicurieux compétents

C'est probablement là où se situent beaucoup de mes lecteurs. Ces penseurs explorent plusieurs domaines en profondeur, apprenant vraiment les fondamentaux plutôt que de survoler. Cependant, ils peuvent avoir du mal à réconcilier les différentes visions du monde qu'ils découvrent, voyant encore des contradictions là où il pourrait y avoir complémentarité.

4. Les intégrateurs transcendants

C'est le niveau le plus avancé. Au lieu de simplement aller "deep" (en profondeur) dans un sujet, ils vont "through" (à travers). Ils comprennent les détails mais voient aussi les limitations de chaque approche. Ils peuvent intégrer différentes perspectives sans les opposer, reconnaissant leur pertinence relative tout en restant conscients que ce ne sont que des modèles mentaux, pas la réalité elle-même.

La création comme essence humaine

Pourquoi est-il important d'approfondir ainsi nos connaissances ? Parce que créer est l'essence même de l'être humain, et la création naît de l'assemblage d'idées.

L'inventeur du roller connaissait les chaussures et les roues avant de les combiner. L'inventeur de l'avion a dû maîtriser les principes physiques et les lois de Newton. Cette vidéo elle-même est née de la fusion de différentes lectures et expériences.

La prise de notes devient alors un outil puissant de création. En naviguant dans mon système, je peux passer d'une note sur les neurosciences à une autre sur le jardinage, faire des connexions inattendues et voir émerger de nouvelles idées par sérendipité.

Conclusion

La prise de notes n'est pas une simple habitude documentaire, c'est un acte de création en soi. Comme l'artiste qui capture l'étincelle d'une inspiration pour la transformer en œuvre, le preneur de notes cultive un terreau fertile où les idées peuvent germer et s'épanouir.

Ce n'est pas une perte de temps, mais un investissement dans notre capacité à penser, à créer et à évoluer. Car au fond, qu'est-ce que la création sinon la capacité à capturer ces fragments d'inspiration que la vie nous offre, pour les nourrir de notre technique et de notre savoir jusqu'à ce qu'ils deviennent des œuvres capables de résonner avec d'autres ?

La prise de notes est ainsi la première étape de ce voyage créatif - le moment où on décide non seulement d'écouter nos intuitions, mais aussi de leur donner une chance d'exister.