· 3 min de lecture

J'ai dansé la folie

J'ai dansé la folie

En janvier, j’ai eu la chance de travailler avec Holly Blakey, une chorégraphe incroyable, dans le cadre d’une recherche et développement pour son spectacle.

Pendant cette R&D, elle m’a confié un solo d’1 minute 30 dans une pièce de 10 minutes.

Mais ce qui m’a le plus marqué, c’est la façon dont elle m’a introduit à ce solo.

Elle m’a raconté son histoire.

Quand elle était plus jeune, elle a été internée dans un hôpital psychiatrique. Les gens pensaient qu’elle était “folle” parce qu’elle avait des visions éveillées, voyait des créatures, et ses émotions la transportaient complètement.

Il n’y avait plus de frontière entre son imagination et la réalité.

Ses émotions négatives la submergeaient, elle voulait lutter contre elles, s’en éloigner, mais elle n’y arrivait pas.

Petit à petit, en grandissant, elle a réussi à regagner pied dans la réalité.

Et toute cette expérience s’est cristallisée sous la forme d’un moth - un papillon de nuit.

Ce gros papillon de nuit bourdonnait autour d’elle en permanence, elle le voyait tout le temps, dès qu’elle parlait à quelqu’un.

Mais dès qu’il se posait sur son épaule, elle sentait qu’il commençait à l’envahir d’émotions négatives, à la transpercer.

Elle arrivait quand même à le contrôler et à rester en relation avec lui.

Puis elle m’a dit : “J’aimerais que tu trippes et que tu fasses comme si tu voyais ce moth, qu’il arrive sur ton épaule et que tu commences à danser à partir de ça. Que tu te fasses envahir, que tu veuilles résister, montrer que ça va bien. Alors qu’en fait, non, ça ne va pas bien. Et être dans ce jeu-là en permanence.”

Sans me donner plus d’indications, elle a ajouté : “Vas-y, lance-toi.”

Le moment de vérité

Là, il faut show up.

Devant une classe de 30 personnes, avec des chorégraphes qui regardent sur le côté.

Tu n’as pas le choix.

Tu dois couper ton mental, couper tous tes mécanismes de protection.

Et juste te lancer.

T’essayer simplement de t’immerger dans un univers créatif et laisser le corps t’apprendre comment faire.

Parce que si tu essaies, sur le moment, de concevoir des mouvements, ça ne marchera pas.

Ça ne sera pas fluide et tu ne transmettras pas l’émotion que tu dois transmettre.

Il faut juste se plonger dans l’univers et créer ce qu’on te demande.

Et voici ce qui s'est passé :

La révélation

Cette expérience m’a rappelé quelque chose de fondamental.

Dans la société, on est stigmatisé quand on est un peu “fou”, quand on voit des choses, quand on n’est pas complètement rationnel et équilibré.

Mais dans l’art, c’est exactement ça qui fait la sensibilité et qui touche les gens.

Si elle m’avait dit “improvise une chorégraphie sur le thème de la tristesse”, le rendu n’aurait pas été le même.

Le fait qu’elle m’ait donné son univers, qu’elle avait vécu, que j’aie senti son émotion par rapport à cet événement de sa vie et à sa vulnérabilité qu’elle a partagée avec moi…

Ça m’a permis d’accéder à un autre niveau d’art.

Un solo qui était plus profond que du simple mouvement pour du mouvement.

Conclusion

Si vous pensez avoir des faiblesses, des événements de vie qui vous stigmatisent, qui vous mettent à part par rapport à ce que la société demande de vous…

Vous pouvez toujours les catalyser en quelque chose d’extraordinaire.

En faire quelque chose de créativement intéressant.

Nos blessures, nos “folies”, nos différences ne sont pas des obstacles à contourner.

Elles sont notre matière première la plus précieuse.

Belle journée, Eliott.