Mon ami Bruno Marion m’a recommandé ce livre, Fluke, par Brian Klass.
Le postulat du livre, c’est de dire que nous vivons dans un monde chaotique où chaque micro-action ou préférence peut avoir des impacts absolument extraordinaires.
Où les modèles de prédiction linéaires, cause et effet, ne suffisent plus pour naviguer dans un monde incertain et chaotique où un micro-changement dans les conditions de départ peut donner un résultat radicalement différent dans les expériences.
J’ai adoré ce livre et je vous le recommande vraiment si vous êtes intéressé par une vision un peu macro du monde.
Ceci étant dit, il y a un concept en particulier qui m’a marqué, qu’il présente à la toute fin de son livre, dans le dernier chapitre, à propos du libre-arbitre.
Il ose poser les grandes questions des philosophes en se demandant : Ok, mais qui sommes-nous ? C’est quoi la conscience ?
J’ai donc essayé de résumer au mieux sa pensée dans cette newsletter ci-dessous.
L’illusion universelle
Nous avons tous l’impression d’être un “CEO” désincorporé quelque part derrière nos yeux, dirigeant notre corps comme un pilote aux commandes.
Cette sensation universelle est si forte qu’elle a même inspiré des théories scientifiques historiques comme le préformationnisme, qui supposait qu’un homoncule miniature existait dans chaque spermatozoïde.
Mais cette sensation est trompeuse - il n’y a pas de petit dirigeant dans notre tête.
Le sentiment universel d’avoir un libre arbitre peut être une illusion créée par la complexité de nos processus neurologiques plutôt qu’une réalité métaphysique.
Cette illusion émerge de notre incapacité à percevoir les causes physiques complexes qui déterminent nos pensées et nos décisions.
L’exemple de Charles Whitman
En 1966, Charles Whitman, un jeune homme poli et intelligent, a soudainement commis des meurtres horribles.
On a découvert qu’une tumeur cérébrale pressait sur son amygdale.
Notre intuition sur sa responsabilité morale change quand nous apprenons l’existence de cette tumeur.
Mais logiquement, si nos actions sont déterminées par l’état physique de notre cerveau, quelle différence y a-t-il entre des actions causées par des tissus cancéreux et celles causées par des tissus sains ?
Dans les deux cas, nous ne contrôlons pas la composition physique de notre cerveau.
L’obsession inexpliquée
Klass partage un exemple personnel fascinant.
À huit ans, après avoir vu le film Gettysburg, il est devenu obsédé par l’histoire de la Guerre Civile sans raison apparente.
Il n’a pas choisi cette passion - elle a émergé d’interactions complexes entre ses gènes, ses expériences, et la structure physique de son cerveau.
Il était libre de poursuivre cet intérêt, mais il ne pouvait pas choisir d’avoir cet intérêt en premier lieu.
Nous sommes libres de vouloir ce que nous voulons, mais nous ne pouvons pas vouloir ce que nous voulons vouloir.
La logique implacable du déterminisme
Le libre arbitre libertaire suppose que nous possédons une capacité magique de faire autrement que ce que les lois physiques déterminent.
Cette conception exige l’existence d’un “fantôme dans la machine” - une substance non-physique capable d’influencer la matière physique de notre cerveau.
Cependant, si nos pensées émergent entièrement de processus physiques dans notre cerveau, alors elles sont soumises aux mêmes lois causales que tout autre phénomène naturel.
La neuroscience révèle que nos choix ont des bases physiques et sont influencés par des facteurs dont nous ne sommes pas conscients.
La physique moderne ne laisse aucune place pour une causation non-physique.
Les tentatives de sauvetage (et leurs limites)
Les compatibilistes tentent de sauver le libre arbitre en le redéfinissant.
Ils arguent que nous sommes libres tant que nos actions découlent de nos propres désirs, même si ces désirs sont déterminés.
Harry Frankfurt propose que nous avons des “désirs de second ordre” - nous pouvons souhaiter ne pas avoir certains désirs.
Comme un toxicomane qui souhaite ne plus être dépendant.
Cependant, cette approche ne résout pas le problème fondamental : d’où viennent ces désirs de second ordre ?
Ils émergent également de processus physiques dans notre cerveau, déterminés par notre histoire personnelle et notre biologie.
Comme le dit Klass, c’est comme dire qu’une marionnette est libre tant qu’elle aime ses ficelles.
Ce que ça change (et ce que ça ne change pas)
Cette perspective ne détruit pas nécessairement la moralité ou la justice.
Les justifications punitives basées sur la rétribution (punir pour punir) deviennent problématiques, mais la dissuasion et la réhabilitation restent valides.
De même, nous célébrons Einstein non pas parce qu’il a “mérité” son génie, mais parce que créer des héros intellectuels a une valeur pragmatique en inspirant les autres.
Comme l’explique Klass, nous pouvons répondre intelligemment aux personnes dangereuses sans nous mentir sur les origines ultimes du comportement humain.
Si nous pouvions emprisonner les tremblements de terre et les ouragans pour leurs crimes, nous construirions des prisons pour eux aussi.
La beauté de l’interconnexion
Plutôt que d’être déprimant, le déterminisme révèle notre interconnexion profonde avec l’univers entier.
Nous sommes la culmination contingente de 13,7 milliards d’années d’histoire cosmique.
Nos meilleurs et pires moments sont inextricablement liés.
Klass n’existerait pas sans le meurtre tragique commis par l’épouse de son arrière-grand-père.
Cette perspective nous situe dans quelque chose de vaste et d’inconnu, révélant que nous importons précisément parce que nous sommes des parties interconnectées d’un tout plus grand.
Le défi pour notre époque
Nos pensées et décisions émergent de l’activité de 86 milliards de neurones interconnectés, influencés par notre ADN, nos expériences passées, notre environnement, même les microbes dans notre intestin.
Nous ne choisissons pas nos gènes, nos parents, nos expériences d’enfance, ou la composition physique de notre cerveau, pourtant ces facteurs déterminent clairement nos comportements futurs.
Accepter cette réalité scientifique ne diminue pas la richesse de l’expérience humaine - nous continuons à aimer, créer, et aspirer.
Cela nous rappelle simplement que nous sommes des parties d’un univers interconnecté plutôt que des agents magiques séparés de celui-ci.
Conclusion
Cette réflexion de Klass m’a beaucoup plu, que ce soit vrai ou non, on est incapables de le savoir aujourd'hui.
Mais ça nous permet de sortir un peu plus de l'illusion de l'individualisme.
Belle journée !
Eliott.