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Aller au travers des connaissances - Niveau intégral de la spirale dynamique

La plupart du temps, quand nous prenons des notes sur des contenus que nous lisons, des livres et autres, nous notons simplement les concepts qui nous paraissent intéressants, nous les rangeons dans un dossier bien organisé, puis... nous ne relisons plus jamais ces notes.

Ce que nous avons créé, c'est une base d'informations, une sorte de Wikipédia personnel qui a pour seul intérêt le fait que nous pourrons accéder plus efficacement à l'information.

Mais comment aller plus loin ? Comment faire en sorte que chaque note prise dans notre système puisse nous inspirer à créer quelque chose de nouveau ?

Cette réflexion s'adresse particulièrement aux créateurs, aux concepteurs de nouvelles perspectives, aux auteurs de livres, de concepts, de métaphores, aux pédagogues. Comment, à partir de notes prises sur nos lectures et nos observations du monde, pouvons-nous faire en sorte que ces notes ne soient pas simplement une base de référence, mais aussi une source d'inspiration créative ?

1. Voir les notes comme un atelier intellectuel

Mettons que je veuille créer une nouvelle perspective sur le sujet de la macroéconomie. Sans système de prise de notes, voici ce que je ferais normalement :

  1. Je lirais des livres sur le sujet, de manière linéaire, un par un
  2. Pour les plus intéressants, je les relirais peut-être plusieurs fois
  3. Je ferais des fiches cartonnées pour mieux retenir
  4. Je m'intéresserais aux auteurs de ces livres
  5. J'écouterais leurs interviews, podcasts, vidéos, conférences

Ce processus me ferait m'enfoncer progressivement en profondeur dans ce domaine. Si on représente un livre comme une série de concepts empilés (concept A, B, C, D...), je continuerais à entendre ces mêmes concepts en boucle, simplement présentés dans des ordres différents :

À force d'entendre ces concepts, je commencerais à m'identifier à eux. Je verrais le monde à travers ce prisme conceptuel. Par exemple, si j'apprends que la création monétaire se fait "ex nihilo" avec le prêt des banques, j'interpréterais les événements économiques à travers cette grille de lecture.

Si j'avais lu d'autres livres, dans un autre ordre, je me serais peut-être identifié à d'autres concepts — comme ceux du communisme ou de la redistribution — et je verrais le monde à travers ces concepts-là.

Le problème de l'expert sans atelier intellectuel

Que se passe-t-il avec un intellectuel qui n'a pas d'atelier intellectuel ? Il creuse toujours plus profondément dans une seule vision du monde, au point de ne plus pouvoir voir au-delà.

Sa perspective devient extrêmement étriquée. Il est au fond d'un "trou" de connaissances et ne peut plus voir ce qui se passe au-delà. Il ne peut plus percevoir que ses concepts sont vrais mais partiels, qu'ils ne décrivent pas toute la réalité.

C'est ce qu'on appelle, en fait, un expert.

Sans atelier intellectuel, on lit et relit les mêmes choses en boucle. On développe une compréhension relativement médiocre, bien que suffisante pour fonctionner dans la société. On maîtrise de mieux en mieux les concepts, mais on garde une compréhension floue. On ne comprend pas les composants et les mécaniques sous-jacentes. On ne comprend pas les "first principles" (principes fondamentaux). On comprend simplement la théorie présentée par un auteur.

2. Créer un véritable atelier intellectuel

Un atelier intellectuel bien conçu fonctionne différemment. Quand je lis un livre intéressant, au lieu de le lire de façon linéaire, je prends chaque concept du livre et j'en fais une note indépendante.

La note A devient une note, la note B devient une note, etc.

Les avantages de cette approche

Première chose, je commence à comprendre les composants fondamentaux sur lesquels repose l'approche d'une personne. C'est une chose de lire un livre de manière linéaire, d'en comprendre la thèse et d'être d'accord. C'en est une autre d'aller au cœur des concepts, de les comprendre profondément et de les expliquer dans mes propres mots. Cela me permet d'atteindre un niveau de compréhension bien supérieur.

Deuxième chose, une fois que j'ai mes concepts divisés, je peux comparer ce travail avec d'autres livres. Par exemple, je lis un second livre d'un autre auteur qui aborde d'autres concepts (E, F, G) et peut-être une variante du concept D (que j'appellerai D bis). Je crée des notes pour chacun.

Et c'est là que la magie opère. Maintenant, j'ai un nuage de concepts interconnectables. Je peux faire des comparaisons astucieuses :

En comparant D et D bis, je peux observer que la différence réside peut-être simplement dans la métaphore utilisée, ce qui a conduit à des angles différents.

Atteindre un méta-niveau

À mesure que je compare tout ce qui existe dans mon domaine de cette manière, concept par concept, mécanisme par mécanisme, j'identifie les croyances qui sous-tendent les approches des auteurs. Je peux alors extraire et extrapoler ce qui reste une fois que j'ai enlevé ces croyances.

Après avoir comparé tout cela pendant des années, je commence à voir émerger de nouvelles idées. Je réalise que de nombreux auteurs disent essentiellement la même chose, mais avec des croyances différentes, des visions du monde différentes, ce qui les conduit à des idéologies différentes.

Je peux alors créer un nouveau concept (disons, GH) qui naît de la confrontation de toutes ces pensées. C'est un concept qui me paraît plus pertinent car je l'ai abordé d'un point de vue méta, en analysant l'ensemble du paysage conceptuel.

3. Un exemple concret : La productivité

Laissez-moi vous donner un exemple concret de ma propre expérience. À un moment, j'ai décidé de lire tout ce qui existait sur la productivité pour comprendre ce domaine.

J'ai lu des livres sur les chronotypes, la biologie, les types de personnalité (Action Type, MBTI), la personnalisation de la productivité, le flow, les habitudes, etc.

J'ai pris soin de prendre chaque concept et de le diviser. À la fin, j'avais un nuage de petits concepts prêts à être mis en parallèle.

En examinant tout cela et en comprenant ce que pensait chaque auteur, avec quelles croyances, j'ai pu développer un regard différent sur l'ensemble. Au lieu de me limiter à une approche (comme "la chronobiologie est la clé de l'efficience"), j'ai pu voir toutes les approches et comprendre les liens entre elles.

En ajoutant des lectures dans d'autres domaines comme le yoga, la spiritualité, la conscience, la danse, l'analyse fonctionnelle du mouvement, j'ai pu créer encore plus de connexions.

The Yoga of Living : Une nouvelle perspective

Ce travail m'a permis de développer un nouveau concept : "The Yoga of Living". C'est l'idée de concevoir des systèmes d'organisation, à l'échelle de l'entreprise et de l'individu, qui nous permettent de faire les actions seulement quand nous sommes prêts.

Comment pouvons-nous vivre dans un état de flow continu en faisant les actions au moment où nous sommes prêts ? Comment cela nous fait-il repenser le travail, la planification, le rapport au temps ?

Le constat est simple : quand nous ne sommes pas prêts à faire une action (par exemple en situation de semi-burnout, de fatigue ou de stress) et que nous nous forçons quand même, nous produisons un travail de moindre qualité, avec moins de bonheur et plus lentement. À l'inverse, nous pouvons être 4 à 5 fois plus rapides et produire un travail de meilleure qualité quand nous sommes prêts.

La question devient alors : comment vivre une vie où l'on s'engage à travailler seulement quand on est prêt — peut-être une petite partie du temps — mais où, quand on est prêt, on crée les conditions parfaites pour le faire de manière optimale, en entrant dans le flow ?

Ce concept a émergé parce que j'ai réalisé que tous les auteurs tentaient, à leur manière, de répondre à la même question : comment faire en sorte que les gens agissent au moment où ils sont prêts ? Mais personne ne l'exprimait ainsi. Chacun parlait d'optimiser la productivité via la chronobiologie, les hormones, etc., alors qu'au fond, il s'agit d'une question d'écoute du corps et de philosophie de vie.

4. Go through, pas go deep

Si nous revenons à notre schéma initial, l'expert traditionnel s'enfonce toujours plus profondément dans un domaine, réduisant progressivement son champ de perception.

Avec un atelier intellectuel, l'approche est différente. Au lieu de simplement aller en profondeur, je "traverse" la connaissance (go through). J'examine les concepts en profondeur, j'identifie les croyances qui les ont générés, puis je sors "de l'autre côté".

Mon champ de perception devient alors beaucoup plus large. Je ne reste pas collé à une expression linéaire d'une méthode. J'observe tous les concepts qui composent cette méthode, je vois leurs limitations.

Je ne deviens pas simplement un spécialiste ou un expert d'une méthode. Je vais au-delà de ce champ conceptuel, ce qui me permet de découvrir d'autres approches que je peux également dépasser.

Ce processus me permet de traverser les connaissances (go through) plutôt que de m'y enfoncer pour m'y attacher (go deep). Je peux alors générer de nouvelles idées parce que je ne suis pas attaché à des connaissances particulières.

Je deviens un observateur qui perçoit des champs conceptuels, qui comprend que chaque concept est vrai mais partiel. Je me place dans une posture où je suis détaché des objets de connaissance, ce qui me permet de les analyser avec un esprit critique, de voir les limitations de toutes les approches, et de faire émerger de nouvelles idées.

5. Le prisme de perception

Actuellement, je présente un spectacle appelé "Prism". L'idée est que nous avons tous un prisme de perception de la réalité à travers lequel nous voyons le monde. Ce prisme se forme au fil de notre éducation et de notre vie, et contient toutes nos croyances, notre histoire, notre culture.

Nous sommes généralement collés à ce prisme : "Je suis Eliott, j'ai 20 ans, je suis danseur à Londres, je suis spécialiste de la gestion des connaissances..." Mais ce n'est pas notre véritable identité. C'est simplement la structure égotique que nous nous sommes construite, avec ses croyances et ses parts.

L'enjeu dans le processus créatif est de mettre de la distance avec ce prisme, d'observer le champ conceptuel, le champ de l'ego, des concepts, des mots, depuis un espace où nous sommes l'observateur. De cet espace de distance, nous pouvons voir les limitations du champ conceptuel, comprendre qu'il n'est pas la réalité, et nous en détacher. C'est de cet espace que peuvent émerger de nouvelles idées.

Les notes deviennent alors des médiums pour mieux réfléchir. Une idée peut nous inspirer intérieurement, créer une résonance qui nous inspire quelque chose de nouveau, un concept légèrement différent que nous pouvons combiner avec un autre champ conceptuel.

6. Comment je prends des notes concrètement

Pour les livres papier

Quand je lis un livre papier, mon processus est le suivant :

  1. Je fais une session de lecture
  2. À la fin de la session, je me demande quels concepts intéressants j'ai découverts
  3. Je fais une liste des concepts les plus importants que je veux retenir
  4. Ensuite, deux options :
    • Si j'ai le temps, j'explique immédiatement chaque concept dans mes propres mots
    • Si je n'ai pas le temps, je garde simplement la liste pour créer les notes plus tard

Cette approche m'assure que je vais aux principes fondamentaux de la méthode, plutôt que de simplement noter des citations ou des histoires. Je prends des notes sur les "first principles" sous-jacents à la méthode, ce qui me permet de gagner en compréhension et de me détacher de l'approche "go deep" pour aller vers le "go through".

Pour les livres numériques

Pour les livres numériques, mon processus est légèrement différent :

  1. Je lis sur Kindle et je fais des surlignages
  2. J'importe tous mes surlignages dans mon logiciel de prise de notes
  3. Je relis mes surlignages et pour chacun, j'identifie le concept sous-jacent
  4. Je crée une note pour chaque concept

Par exemple, si je trouve un passage qui dit "Chaque vision du monde laisse place à la suivante lorsque certaines de ses limitations intrinsèques deviennent apparentes", je pourrais créer une note intitulée "Le processus d'évolution du système de valeur par différenciation, transcendance, inclusion".

L'objectif est toujours de reformuler dans mes propres mots ce qui est dit, pour m'assurer que j'ai vraiment compris. Cette reformulation me permet aussi de mieux apprendre et d'affiner ma pensée, au lieu de simplement créer un Wikipédia personnel (ce que l'IA peut faire très bien).

Interconnexion des notes

Une fois que j'ai créé une note permanente pour un concept, je peux la connecter avec d'autres notes et réfléchir aux résonances entre elles.

Par exemple, je pourrais faire un lien entre un concept de développement des valeurs et ce que j'ai appris sur le yoga. En examinant les yama et niyama du yoga (principes moraux et éthiques), je pourrais me demander : "Qu'est-ce que donnerait un yoga intégral aujourd'hui ? Un yoga qui voit les limitations de ce système de valeurs et qui permettrait de voir les différences avec d'autres niveaux de valeurs ?"

C'est ainsi que des concepts indépendants, disponibles dans mon "workbench" (établi), me permettent de faire émerger quelque chose de nouveau.

Vue graphique

Dans mon système, je peux aussi ouvrir une vue graphique autour d'une note, zoomer dedans et explorer des liens potentiels avec d'autres concepts. Cette visualisation me permet de me promener dans mes idées et de découvrir des connexions inattendues.

Par exemple, en explorant des notes sur les "shadows" (parts de nous qui restent à des niveaux inférieurs de développement), je pourrais faire un lien avec la technique de méditation vipassana, qui consiste à observer les pensées, envies et sensations. Cela pourrait m'inspirer pour créer une méditation spécifique pour observer les parts de soi qui restent en arrière.

Ce qui est vraiment puissant dans ce système, c'est que je peux prendre des notes sur n'importe quoi. Je peux passer de la philosophie au concept japonais du wabi-sabi (la beauté des choses imparfaites et impermanentes), et voir des liens surprenants entre ces domaines. Ces connexions peuvent me donner des dizaines d'idées pour illustrer des concepts philosophiques.

Il y a une énorme valeur à avoir des notes provenant de champs conceptuels différents, que l'on peut recombiner pour voir les choses sous de nouveaux angles.

7. L'émergence des idées par sérendipité

L'émergence d'idées se produit véritablement par sérendipité dans ce processus. Prenons un exemple concret : je suis en train de réfléchir à la macroéconomie ou à la productivité, tout en lisant un livre sur les optiques. Soudain, la métaphore du prisme me vient à l'esprit comme une analogie parfaite pour la productivité.

Cette nouvelle métaphore devient alors le point de départ d'une méthode dans laquelle je peux intégrer d'autres idées. C'est ainsi que naissent de nouvelles idées sur le plan conceptuel.

Dans d'autres domaines créatifs comme la danse, l'art ou les images, le processus peut être différent car on ne passe pas nécessairement par ce champ conceptuel. Mais dans le domaine des idées, il s'agit d'aller au-delà des connaissances, de les observer et d'avoir un "workbench" (établi) sur lequel on peut disposer toute cette matière pour créer quelque chose de nouveau.

8. Les avantages de cette approche

En résumé, voici les principaux avantages de voir son système de notes comme un atelier d'émergence et de création :

  1. Compréhension plus profonde : En décomposant les livres en concepts atomiques et en les expliquant dans nos propres mots, nous comprenons véritablement le sujet au lieu de simplement mémoriser la présentation linéaire d'un auteur.
  2. Vision plus large : Au lieu de s'enfermer dans un "trou" de connaissances de plus en plus profond, on développe une vision panoramique qui permet de voir les liens entre différents domaines.
  3. Détachement critique : On ne s'identifie pas aux concepts, on les observe. Cela permet de voir leurs limitations et leurs aspects partiels.
  4. Créativité accrue : La confrontation de concepts provenant de domaines différents crée un terrain fertile pour l'émergence d'idées nouvelles et de perspectives originales.
  5. Pensée méta : On développe la capacité de penser à un niveau méta, d'observer les schémas et les structures sous-jacentes aux différentes théories.

9. Mise en pratique pour débutants

Si vous êtes novice et souhaitez commencer à développer votre propre atelier intellectuel, voici quelques conseils pratiques :

  1. Commencez petit : Choisissez un domaine qui vous passionne et lisez 2-3 livres fondamentaux sur ce sujet.
  2. Identifiez les concepts clés : Pour chaque livre, listez les 5-10 concepts les plus importants.
  3. Créez des notes atomiques : Pour chaque concept, créez une note séparée où vous l'expliquez dans vos propres mots.
  4. Établissez des liens : Commencez à établir des connexions entre les concepts similaires provenant de différents livres.
  5. Ajoutez de la diversité : Incorporez progressivement des notes provenant de domaines adjacents ou même éloignés.
  6. Revisitez régulièrement : Prenez l'habitude de revisiter votre système de notes sans objectif précis, simplement pour explorer et voir quelles nouvelles connexions peuvent émerger.
  7. Soyez patient : L'émergence d'idées vraiment nouvelles peut prendre du temps. C'est un processus qui s'enrichit avec le temps et l'accumulation de notes diverses.

Conclusion

Voir son système de notes comme un atelier intellectuel plutôt que comme un simple système de stockage d'informations transforme radicalement notre relation au savoir. Au lieu d'être des consommateurs passifs qui s'identifient aux idées des autres, nous devenons des créateurs actifs qui observent, analysent et synthétisent.

Ce processus nous permet de transcender les limitations des approches existantes et de faire émerger des perspectives nouvelles et plus intégrales. Il nous aide à développer une vision plus large et plus nuancée du monde, à voir au-delà de notre propre prisme de perception.

L'atelier intellectuel n'est pas seulement un outil pour mieux comprendre ce qui existe déjà, mais aussi un laboratoire pour faire naître ce qui pourrait exister demain. C'est un espace où les idées peuvent se rencontrer, dialoguer et se transformer pour donner naissance à quelque chose de véritablement nouveau.

En fin de compte, c'est peut-être là la plus grande valeur d'un système de notes bien conçu : non pas de nous aider à nous souvenir, mais de nous aider à créer.

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