Manifeste · · 5 min de lecture

1 - L'évolution de l'économie de la création de contenus

1 - L'évolution de l'économie de la création de contenus

Quand on a commencé à distribuer de l'information de manière efficiente il y a une centaine d'années, on le faisait par le biais d'institutions centralisées. C'était des grosses entreprises qui géraient une ligne éditoriale avec des auteurs et qui publiaient de manière régulière du contenu. Par exemple, des journaux comme Le Monde, le Wall Street Journal, le Washington Post, et des maisons d'édition classiques.

Ces institutions détenaient le pouvoir sur le marché mais surtout la valeur. Elles s'enrichissaient avant tous les autres acteurs du marché. Les auteurs, de leur côté, n'avaient que très peu de valeur, ils étaient facilement remplaçables. On commandait un article à quelqu'un, cette personne le livrait, c'était tant mieux. Il n'y avait pas vraiment de star de l'écriture. Les gens suivaient un média et ne retenaient quasiment pas qui avait écrit l'article qu'ils lisaient.

Au niveau des moyens de distribution, il y avait très peu de valeur captée par cette partie de l'équation. Les imprimeurs n'ont jamais capté énormément de la valeur ajoutée et les kiosques, les libraires ou autres n'ont jamais fait beaucoup de marge sur les contenus non plus. On était dans un endroit où l'information était restreinte et centralisée, où les entreprises de publication étaient souveraines.

Voici ce que ça donne sous la forme d'un schéma :

Comme vous pouvez le voir, la valeur est captée par les journaux et les entreprises de publication. Pas du tout par les auteurs et les distributeurs.

Aujourd'hui cependant, les choses ont beaucoup changé et le diagramme s'est carrément inversé. Les acteurs qui captent le plus de valeur et qui sont les plus importants sont les plateformes et les auteurs. Pourquoi ce changement drastique ? En un mot : Internet.

Le sourire a changé de sens et maintenant, les individus sont les stars, mais au travers de plateforme qui captent beaucoup de valeur au passage

Internet a rendu la barrière à l'entrée pour se mettre sur le marché de la publication tellement basse que tout le monde peut devenir créateur. Pour le mettre en une phrase : l'unité atomique de production sur le marché de la création de contenu est passée d'entreprise de publication comme un média à un individu avec simplement un ordinateur.

Aujourd'hui, n'importe qui avec une caméra peut filmer des vidéos, les poster et avoir une énorme audience et un énorme impact. Regardez la consommation de contenu des jeunes, ils ne suivent plus des médias, mais des créateurs. Aujourd'hui, un individu seul peut tout faire sans aucune structure autour de lui. On peut, de manière complètement gratuite, filmer une vidéo, la publier, avoir des vues, créer une plateforme de monétisation, un abonnement et la distribuer à encore plus de personnes grâce à de nouveaux réseaux sociaux.

C'est génial car ça redonne du pouvoir à l'individualité des auteurs et ça en enlève aux intermédiaires que sont les maisons de publication. Cependant, tout ça a un prix car le pouvoir a été transféré au troisième acteur de ce marché : les plateformes.

Aujourd'hui, si vous voulez vous faire connaître, si vous voulez publier du contenu en ligne, vous êtes obligé de passer par les plateformes. Que ce soit Google, en vous conformant à ses règles de SEO, YouTube, en devant apprendre comment marche l'algorithme, ou Instagram en essayant de faire buzzer des reels, vous devrez forcément vous conformer aux règles d'une plateforme pour réussir à vous faire connaître.

La plupart des créateurs ont d'ailleurs 100% de leur stratégie de monétisation qui dépend du système de la plateforme, du système publicitaire. La plupart de la valeur produite sur ce marché est captée par ces plateformes, (Meta et Google), car ce sont aujourd'hui les plus grandes places d'annonces et de publicités au monde.

Et justement c'est ça le problème. Aujourd'hui l'ennemi, ce sont un peu les plateformes. Car ces dernières nous font conformer notre contenu à un style particulier pour pouvoir buzzer, pour pouvoir faire des vues. Et elles captent trop de la valeur ajoutée que le créateur produit en réalité.

Selon moi, dans un monde idéal, il n'y a plus d'intermédiaires. Ce sont simplement des créateurs, des humains, qui ont des idées, qui inspirent d'autres humains, qui sont les lecteurs et qui les reçoivent directement.

Il nous faudrait développer des créateurs qui construisent leur propre monde digital dans lesquels ils sont directement en relation avec leurs clients et leur audience. Mais ça, je vous en reparle tout à l'heure.

Pour l'instant, concentrons-nous sur les caractéristiques de ce marché.

Les caractéristiques du marché de la création de contenus

Dans le marché de la création de contenu et du partage d'information, la valeur principale qui est échangée, c'est l'attention. Qu'est-ce qu'on entend par l'attention ? Le temps d'attention concentré de lecteurs ou de consommateurs de contenu sur leur écran ou sur leur journal. Et cette attention des consommateurs, elle est convoitée par tout le monde : les créateurs, les médias, mais aussi tous les annonceurs qui veulent absolument mettre leur pub devant les yeux des gens.

On a donc une demande énorme pour cette attention, et une offre limitée. Tout le monde a 24 heures dans une journée et ne peut pas passer tout son temps devant un téléphone. On est arrivé à un moment où la tension sur le marché de l'attention est devenue extrême. On sursature. Les gens ont des vibrations fantômes de leur téléphone dans leur poche, ils sont complètement addicts aux plateformes et désinformés. Leur cerveau vit pour la dopamine qu'ils obtiennent en ouvrant leur téléphone chaque matin et non plus pour des vrais projets, des vraies choses à mettre au monde.

On voit sur ce schéma que plus il y a d'informations disponibles, plus la valeur de ces dernières diminuent, alors que la valeur de l'attention augmente en flèche

Ça, c'est donc un constat : l'attention des consommateurs est sursolicitée. Maintenant, on pourrait en tirer différentes conclusions.

La première, c'est que pour se démarquer dans un marché aussi concurrentiel, il nous faut absolument une perspective. C'est quoi une perspective ? C'est un nouveau regard sur le marché.

Quand tout le monde va essayer de capter votre attention avec des compilations de hacks, des titres plus aguicheurs les uns que les autres ou des nouvelles qui vous glacent le dos, vous, vous devez arriver dans ce marché avec une perspective différente. C'est-à-dire être là pour dire aux gens "Non, ce n'est pas aussi grave que ce que vous pensez, voilà comment interpréter la situation." ou encore "Non, en réalité ce n'est pas ça le problème, c'est plutôt là que vous devriez regarder." Et faire entrer les gens dans votre propre perspective, votre propre manière de voir les choses. Et donc les fidéliser de cette manière-là. Mais ça, on en parle plus en détail dans cet article sur l'ère des perspectives.

Le deuxième constat sur lequel on va s'attarder dans cet article, c'est que cette situation désastreuse de la guerre pour l'attention a créé des systèmes marketing qui sont tous "closed world marketing". C'est un concept que j'ai lu chez André Chaperon et qui m'a beaucoup parlé. On en parle dans la 2e partie de ce manifeste.

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